Le Centre Spatial Guyanais : de la jungle à l’espace

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La France et l’Europe font décoller leurs fusées au plus près de l’équateur, dans un site unique, mélangeant l’humidité chaude de la jungle amazonienne et l’excellence technologique de 50 ans d’expérience.

Et maintenant ? Le Centre Spatial Guyanais se prépare même à faire atterrir des fusées

Il faut quitter Hammaguir!

Lorsque la France a commencé à s’intéresser aux lancements de fusées, d’abord pour des ambitions militaires puis scientifiques, elle a utilisé sa base d’Hammaguir, située dans l’Ouest algérien, et alors colonie française avec le statut de département.

Les décollages des fusées-sondes, puis du programme des « pierres précieuses » permettent à la France d’entrer, en 1965, dans le club très fermé des pays devenus puissances spatiales, notamment avec Diamant-A1 et le satellite Asterix-A1. Toutefois, le centre d’Hammaguir est toujours en Algérie, et l’Algérie est devenue une nation indépendante. Il faut alors trouver un nouveau site pour les fusées du CNES et quitter le désert avant la fin 1967, dans le cadre des accords d’Evian…

Ce sera donc la Guyane ! Le Centre Spatial Guyanais, ou « CSG », ouvre ses portes en 1968 après une première période d’aménagements : la piste de l’aéroport est rallongée, et un port autonome est installé pour ramener du matériel depuis l’Hexagone.

Bienvenue à Kourou…

Installé sur les communes de Kourou et Sinnamary, le Centre Spatial Guyanais est un énorme territoire de 660 km², soit pratiquement la taille de la Martinique ! Le site est idéalement placé pour faire décoller des fusées : très près de l’équateur terrestre (les lanceurs bénéficient ainsi d’un effet de fronde et peuvent donc économiser des ressources), entouré de zones très peu, voire pas du tout peuplées et d’un canal d’accès à la mer, sa position permet même d’envoyer des satellites sur des orbites très inclinées.

Bien sûr, il y a un revers à la médaille, à commencer par les conditions sur place. La jungle est un environnement humide et chaud : sans entretien, routes et bâtiments disparaissent vite sous la mousse et les fougères. En outre, il pleut beaucoup, et la faune locale (vous aimez les araignées ? Les chauve-souris ?) met l’isolation des bâtiments à l’épreuve.

Toutefois, un centre spatial au milieu de la jungle présente d’autres avantages. D’une part, les zones d’exclusion sont faciles à faire respecter. De l’autre, entre les zones construites utilisant moins de 10 % du territoire, et l’interdiction de chasse et de coupe du bois, le personnel évolue dans un véritable paradis pour la faune et la flore locale : 12 écosystèmes différents, des pumas et des jaguars, des biches et même des ruches – la santé des abeilles étant un très bon indicateur de la pollution sur un tel site. Pour cause, contrairement à ce que l’on imagine, un décollage ne perturbe l’écosystème que pour quelques heures.

Le meilleur site du monde ?

À Kourou, les lanceurs arrivent en bateau depuis l’Europe et la Russie, tandis que les satellites, et les équipes qui accompagneront la préparation finale de ces joyaux de technologie, débarquent en avion du monde entier. Aujourd’hui, c’est une base efficace et rodée, dont quelques formes architecturales et moquettes rappellent qu’une part importante des bâtiments a été érigée dans les années 1970.

Rappelons par ailleurs que le CSG a aussi été le théâtre de tensions et de grèves ces dernières années, la Guyane restant un territoire pauvre au sein duquel le Centre Spatial peut être perçu comme une enclave favorisée. En outre, si nombre d’employés du centre sont français, certaines communautés vivent à l’écart, à l’image des équipes russes qui disposent de leur propre « village ».

Depuis le début des années 70, le CSG s’est beaucoup étoffé. Après les fusées-sondes et quelques décollages de Diamant, les européens ont tenté d’unir leurs efforts avec un grand lanceur : Europa, un échec retentissant.

Toutefois, la « base au milieu de la jungle » trouvera quand même son salut, avec la toute jeune agence spatiale européenne (ESA) et les efforts du CNES pour proposer une fusée : Ariane. La première du nom décolle le jour de Noël 1979, et fera battre le cœur des passionnés de l’espace pour plusieurs décennies.

L’agence française, friande d’acronymes, fait ériger les ELA (« Ensemble de Lancement Ariane ») sous la canopée, et les versions se succèdent, commercialisées par Arianespace et lancées avec une fiabilité qui a fait la fierté et la célébrité du site Guyanais, tourné vers les clients internationaux. De très nombreuses personnalités politiques et industrielles se sont déjà assis sur le velours rouge de la salle de contrôle Jupiter, pour sortir deux minutes avant le tir sur le balcon afin de voir Ariane 5, à près de douze kilomètres de là, s’élancer vers le ciel.

Ariane, Vega et Soyouz…

Mais Ariane 5 n’est pas seule au Centre Spatial Guyanais. Elle fut rejointe en 2011 par Soyouz (lanceur de moyenne capacité), installé sur un tout nouveau pas de tir assez éloigné de celui d’Ariane… Fait cocasse d’ailleurs, puisqu’il est courant de désigner le CSG en disant « Kourou », alors que le pas de tir de Soyouz est beaucoup plus proche de Sinnamary.

Enfin, en 2012 c’est le petit lanceur Vega qui décolle pour la première fois du CSG. Il est taillé pour envoyer de plus petits satellites que Soyouz ou Ariane, d’une masse inférieure à deux tonnes, mais a surtout été développé pour envoyer des satellites d’observation de la Terre en orbite basse. Depuis bientôt une décennie, ces trois fusées coexistent au milieu du site, où sont répartis une myriade de bâtiments destinés à leur préparation, à celle des carburants et, bien sûr, des satellites ou de leur mise sous coiffe. On retrouve également des sites de tests sur place, pour des fusées sondes et pour la mise à feu de nouveaux moteurs.

Le « port spatial européen »

Face à la concurrence internationale, le paysage des lanceurs européen évolue, et le Centre Spatial Guyanais doit suivre le rythme, même si ce n’est pas tâche facile. La France, qui porte aussi le développement du « port spatial européen », a demandé plus d’aide à ses partenaires européens, et souhaiterait faire de Kourou un écosystème plus ouvert pour de nouveaux acteurs privés tels que les petites start-up qui préparent des lanceurs.

En attendant, un pas de tir tout neuf est en construction depuis 2015, ELA-4, qui accueillera Ariane 6 pour un premier décollage en 2021. Vega aussi évolue. L’industriel Avio est chargé des opérations sur place avec le lanceur, qu’une nouvelle version va rendre plus puissant. De son côté Soyouz sera progressivement mis à la retraite dans la décennie à venir : avec Ariane plus souple, et Vega plus puissant, la nécessité du lanceur s’amenuise.

D’autant plus que d’ici là, une autre nouveauté aura fait son apparition au Centre Spatial Guyanais : des fusées revenant s’y poser. En effet, Callisto et Themis sont engagés pour étudier les technologies de lanceurs réutilisables, et le site sera bien placé lorsque les industriels passeront à la réalisation grandeur nature de ces projets. Une chose est sûre, de belles surprises vont encore surgir de la jungle guyanaise…

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